Première partie : Témoignages sur Fred GOUIN

L'ESTAMINET AU BORD DE L'OISE.

Souvenirs de Yves PENNEC

1948… 1951… souvenirs… souvenirs. Les étoiles s’allument de toutes parts au firmament de la chanson française, de nouvelles vedettes vont s’affirmer, de Yves Montant à Edith Piaf, de Georges Ulmer à Jacqueline François, de Bourvil à Yvette Giraud – tous les genres sont représentés : fantaisistes, comiques, chanteuses réalistes, chanteurs de charme (notre Tino Rossi national est toujours là). Alors… allez savoir pourquoi un jeune homme de 19 ans, va délaisser plus ou moins ces gloires, o combien variées et talentueuses, pour regarder vers les chanteurs des années vingt et trente. Mystère de l’inconscient… ?

De ces grands oubliés citons Marjal, Marcel’s, Malloire, Toscani, Jovatti, Robert Marino – un nom resplendit en lettres de feu : FRED GOUIN. Déjà j’adorais cet interprète, lui vouant un véritable culte. Sur les radios d’époque « La Chaine Parisienne », « Rennes Bretagne » (j’habitais Nantes) notre enchanteur se faisait encore entendre, en particulier à l’émission « Le disque des auditeurs » le dimanche matin. En 1947, jeune cheminot à la Baule, j’appris par un artiste de brasserie que « Fred Gouin tenait un petit café » au bord de l’eau à Conflans Ste Honorine, précisément au lieu-dit « Fin d’Oise ».

Un an plus tard séjournant à Paris dans ma famille, en mai 1948, je décidais de partir par une belle journée ensoleillée à la recherche de notre célèbre chanteur. Fin d’Oise et ses péniches, le paysage est ravissant. Je prends une ruelle montant dans un quartier dominant l’Oise appelé « Les Côtes de Vannes », et là m’adressant à une brave dame, j’entends la réponse suivante : « bien sûr nous l’avons connu Fred Gouin – tenez, il habitait cette maison (elle me désigne un pavillon et son jardin entouré de l’inévitable mur) c’était à l’époque de sa gloire. Aujourd’hui, il tient un petit estaminet au bord de l’Oise à Jouy-le-Moutier. Vous suivez le chemin de halage c’est à environ 3 km ». Vous avez deviné, il s’agissait « Des Fins Pêcheurs ». Une demi-heure après, j’arrivais au lieu-dit.

Très ému, j’entrais dans la petite salle du bistrot. Il était environ 4 heures de l’après-midi, c’était la semaine, j’étais seul. Je me souviens… au mur des photos, entre autres Fred Gouin sur un bateau de plaisance avec Larquey et Villabella. Le chanteur parut, imaginez l’émotion d’un jeune homme de 19 ans (et 19 ans en 1948 correspondait à un âge moins précoce que présentement). Notre interprète avait alors 60 ans , de taille très moyenne, plutôt trapu mais pas obèse, vêtu d’une combinaison de toile bleue, les cheveux encore brun, l’œil vif, un peu triste derrière des lunettes d’écaille, l’allure générale d’un camelot de boulevard, un peu bougon mais très ouvert, très sympathique et très parigot. D’ailleurs des interviews ultérieures de personnes de l’entourage du grand chanteur ont confirmé ce côté un peu coléreux, soupe au lait mais dont en définitive on ne retenait que la franchise et la cordialité. J’étais aussi frappé par la force, l’énergie que dégageait l’homme, cela correspondait bien au style de ses interprétations et puis par-dessus tout ce petit fluide mystérieux et indéfinissable qui fait les grands personnages. Il me parla de Toscani qu’il appréciait beaucoup, du manque de « camelote » selon son expression (nous étions au lendemain de la guerre) qui limitait la réédition de ses 78T. Je le quittais ravi et bouleversé.

L'allée de tilleuls.
L'allée de tilleuls.

Mais c’est surtout 3 ans plus tard, en juin 1951, que j’ai eu l’occasion de le rencontrer plus longuement. Me voici donc à nouveau sur les bords de l’Oise. A l’entrée de Jouy-le-Moutier une immense pancarte accueillait le promeneur : en lettres géantes on lisait Fred Gouin souligné d’une flèche indiquant la direction de l’estaminet « Les Fins Pêcheurs ». Une allée bordée de tilleuls (elle est toujours là) conduisait à l’établissement.

Fred Gouin, toujours vêtu de son éternelle combinaison toile bleue, semblait, derrière le comptoir, attendre le client. Je m’assis à une table. Près de moi, il y avait deux dames peu loquaces occupées à des travaux de couture, l’une d’elle était la compagne du chanteur. Se rappelait-il de ma première visite ? Je ne le crois pas, mais cela n’avait aucune importance, j’étais si heureux de me retrouver en présence de notre  remarquable chanteur de genre.

Par le biais de mon admiration pour lui, nous commençons à parler chansons. Des expressions m’avaient frappées : « il faut chanter l’amour d’une façon très mâle » et aussi par opposition aux voix chaudes du midi : « j’ai connu des chanteurs admirables originaires des pays nordiques ».

Berhe Sylva… et là son visage s’attrista : « elle interprétait magnifiquement, d’une voix très droite, c’était une amie… ». Il n’appréciait pas Jean Lumière : « ça va cinq minutes, c’est trop sucré ». Quant à Marcel’s : « c’est un copain mais bon dieu, je lui dis travaille tes textes ! ta voix est superbe mais tu chantes tout pareil… ». En revanche quelle admiration pour Louis Lynel.

Je partis très impressionné. Environ 2 ans plus tard, il quittait ce charmant bistrot des bords de l’Oise pour Coulon, village perdu au fond du marais poitevin.

 

Yves PENNEC    

 

(ce témoignage a été publié pour la première fois dans les Cahiers Fred Gouin n°5, septembre 1996)

 

Nous remercions chaleureusement Yves PENNEC de nous avoir autorisé à nouveau de publier ses souvenirs.

 

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"Robert Hélin se souvient d'avoir vu Fred Gouin vers janvier 1935 au cinéma Le Capitol de Villejuif, 25 rue Jean Jaurès. Le chanteur se produisait en attraction du film "La veuve joyeuse" (avec Maurice Chevalier). S'accompagnant à la guitare, il interprèta plusieurs chansons avec un énorme succès."

(publié dans Phonoscopies N°38 - avril 2002)

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